J’ai rencontré un assasssin. C’était en juin 2007. Rendez-vous compte : à la lecture d’un roman noir, mon œil achoppa sur le mot « assassin » écrit avec deux puis trois s. Une coquille précisément sur ce mot-là, dans un polar, m’apparut comme un magnifique événement. Pressentant la potentialité d’un projet plastique sur l’idée de « créer des œuvres à partir des coquilles que je rencontre dans les livres », je consignai la trace de la coquille puis, année après année, de toutes celles que je relevais lors de mes lectures.
Chaque œuvre est créée à partir d’une ou plusieurs pages dans lesquelles j’ai repéré une ou plusieurs coquilles. La coquille, si elle n’est pas explicitement indiquée, est révélée par un ou des indices.
La coquille, en soi, ne devrait pas exister. Elle est une erreur, une négligence. Or elle est là. Elle existe. En tant qu’elle existe elle est belle, digne de considération. Alors je joue à la faire briller, à la mettre en valeur, littéralement l’exposer.
L’œuvre témoigne de ma joie issue de ma rencontre fortuite avec une ou des coquilles dans le livre.
Ce livre que j’ai lu, c’est un exemplaire particulier que j’ai tenu entre mes mains : celui que j’ai acheté, ou trouvé, celui qu’on m’a offert ou prêté. Je suis entré dans l’intimité du livre, et cet exemplaire-là en particulier m’est devenu intime, du moins le temps de sa lecture. Aussi l’œuvre se doit-elle de travailler précisément la page de cet exemplaire-là et d’aucun autre – encore moins des photocopies. Je me dois donc de prélever la page hors de l’exemplaire. Je le fais avec délicatesse. Ce geste, le premier me conduisant à l’œuvre, tient du jeu, du forfait, de la cérémonie.
Ce faisant, ai-je détérioré l’exemplaire ? S’il n’est pas devenu illisible, il est à tout le moins non lisible dans son entier. Or je veux que l’exemplaire continue de vivre, c’est-à-dire qu’il ait la possibilité d’être pleinement lu par d’autres ou relu par moi-même. Je procède donc à sa restauration en réalisant une photocopie recto verso de la page, que j’insère en lieu et place de la page prélevée.
Sur cette page photocopiée je n’interviens pas, laissant y vivre la coquille car c’est sur la page de mon exemplaire que je travaille. Ainsi le livre retrouve quasiment son aspect initial, et toute son intégrité intellectuelle. Si l’on feuilletait l’exemplaire il se pourrait qu’on remarque la texture, la couleur légèrement différentes de la page en question. On se demanderait : D’où cela vient-il ? Qui a fait ça ?
En guise de réponse, ou plutôt d’indice, j’atteste mon intervention en apposant sur la page de titre un tampon marqué « TPB – COQUILLE CERTIFIÉE CONFORME ». TPB ici est le sigle non de « The pirate bay », site web de partage de fichiers numériques illégal dans certains pays, non de « trouble de la personnalité borderline », mais de The Psychic Buro, anagramme de mes nom et prénom ; quant à la coquille certifiée conforme, elle est donc une « coquille certifiée » et une « coquille conforme »… deux locutions dont les initiales correspondent aux miennes – de même que « cabinet de curiosités », cabinet qui se constitue à mesure de la création des œuvres, œuvres comme autant d’objets précieux mis pour la plupart sous cloche ou dans boîte.
Mais alors… l’œuvre, le livre, le livre et l’œuvre : le livre fait-il partie de l’œuvre ? Non. Le livre est la source de l’œuvre, il l’impulse mais il en est absent. L’absence du livre gravite autour de la présence de l’œuvre. L’œuvre vous donnera envie, peut-être… de vous procurer le livre… et de (le) lire.